– Bonjour Sofia ! Prête pour le grand voyage ?
– Humf !
Je suis encore toute penaude. Un voyage dans l'espace-temps, quand même... C'est la première fois que ça m'arrive, je dois être un des premiers particuliers à avoir droit à ce voyage. C'est tellement merveilleux que j'ai peu dormi cette nuit, j'espère que ça ne nuira pas à ce grand jour.
J'avais le choix entre plusieurs peuples antiques, j'ai préféré choisir celui que je connais le mieux, à savoir le peuple grec, la cité d'Athènes pour être plus précise, à l'époque de la démocratie. Je suis folle de joie que mon père m'ait offert ce magnifique cadeau pour mes dix-huit ans.
Il faut encore une demi-heure avant que tout soit prêt. Je rentre alors dans une grande cabine transparente et m'installe sur un siège un peu surélevé. J'y dépose chaque main sur les accoudoirs. On me donne pour consigne de ne pas les lâcher avant la fin du voyage. Je me contente de hocher la tête, tendue. Je ne sais pas du tout à quoi ressemblera ce voyage, et ça m'effraie... Ils m'ont dit que l'expérience diffère selon chacun mais que la douleur est exclue. J'espère bien. Le professeur en personne me met cette sorte de casque relié par de nombreux câbles aux appareils qui m'entourent. On me branche aussi à un appareil qui étudie les battements du cœur, à un autre qui prend la tension... Tout cela n'est pas rassurant. Ont-ils peur que je fasse un malaise ? Ils ont dit pourtant qu'il n'y en avait pas eu. Enfin, on sort de la cabine dont on ferme les portes. Le professeur retourne à son clavier. Tous ces gens en blouse blanche me regardent, je me sens un peu idiote mais surtout très seule. Je commence à angoisser, mon cœur bat la chamade. A travers un micro, on me dit de me détendre. Mais tous sont excités ou tendus, alors le puis-je ?
– Tu es prête ?
– O-Oui...
– Ferme les yeux et compte jusqu'à dix.
– Un...
Mais je n'arrive pas à fermer les yeux. Je le vois pianoter sur son clavier.
– Deux...
N'y a-t-il pas du bruit autour de moi ?
– Trois...
Oui, c'est ce casque laid qui commence à s'activer.
– Quatre...
Je commence à avoir sérieusement peur, là.
– Cinq...
Ma tête est lourde, c'est normal ?
– Six...
Les images se brouillent, je préfère fermer les yeux.
– Sept...
Mais je n'entends plus ma voix
– Huit...!
Même en hurlant, je ne m'entends plus ! Et j'ai l'impression que mon corps est balloté... Ou que tout l'univers est balloté, sauf mon corps.
– N-Neuf !
Je ne me sens pas bien, envie de vomir peut-être, comme si j'étais allée trop loin, trop profondément dans les abysses du temps.
– …
Je n'arrive même pas à articuler le dernier nombre, je me sens trop mal, tout se meut, tout se mélange. Si j'ouvrais les yeux, je suis sûre que mes jointures seraient blanches tant je me crispe sur les accoudoirs.
Soudain, tout disparaît... Tout. Je me sens tomber lourdement en arrière. Mes bras par réflexe veulent me retenir, les voilà qui se heurtent à un sol dur et chaud. Tremblants, ils m'abandonnent et me laissent m'affaler sur le sol sans trop me faire mal. Je reste un instant immobile, choquée. Plus jamais... Plus jamais je ne voudrais subir ça ! Voyage sans douleur, bien sûr ! Mon père a payé une fortune pour me permettre cela, alors ils n'allaient quand même pas dire que c'était désagréable. Espèces de menteurs ! De voleurs ! De, de... Du vent ?
J'ouvre les yeux. Je suis cachée dans l'ombre d'une maison. Personne ne m'a vue arriver. Je me redresse, encore tremblante, puis je me relève en me tenant sur un mur. Allez, marche Sofia, marche... Je sors lentement de l'ombre. L'instant d'après, un homme me regarde, surpris, avant de froncer les sourcils.
« Sofía, que faites-vous ici ? Vous devriez être chez Polyzóês. Dépêchez-vous d'y retourner ! »
Alors c'est ainsi que parlent les Athéniens de l'antiquité ? Ils ont un drôle d'accent ! J'acquiesce rapidement puis m'éloigne vers une direction au hasard tandis que lui s'en va de son côté. Mais qui est Polyzóês ? Et qui suis-je pour ces grecs ? Une jeune femme ? Une étrangère ? Ou une esclave ? Avant de m'amener ici, on m'a dit que mon identité avait été toute préparée. On aurait pu se donner la peine de me dire qui j'étais, quand même. J'espère que ce court séjour à Athènes ne se passera pas trop mal...